Cette gravure, qui appartient à la série de sujets paysans qu’André Fermigier avait qualifiés « d’images du bonheur paisible », peut être rapprochée de divers tableaux et dessins qui apparaissent dans l’œuvre de Millet dès la fin des années 1840. Mais la composition est surtout celle d’une toile de grandes dimensions (114 x 99 cm.) au regard de l’intimité du sujet, que le peintre présenta au Salon de 1861, l’année même de la réalisation de l’eau-forte. Confrontée à deux œuvres très controversées de Millet, Tobie et La Grande Tondeuse, cette peinture beaucoup plus « aimable », acquise dès 1869 par le musée des beaux-arts de Marseille, passa un peu inaperçue.
Cette eau-forte présente l’intérêt d’être particulièrement bien documentée. Le critique d’art Philippe Burty, qui était le commanditaire de l’estampe destinée à la Gazette des Beaux-Arts dont il était l’un des principaux collaborateurs, a en effet gardé dans ses « Croquis d’après nature », publiés pour la première fois dans la Revue rétrospective en 1892, le souvenir de la journée du 10 juin 1861 au cours de laquelle Millet et lui se rendirent successivement chez Félix Bracquemond pour faire mordre la planche puis chez l’imprimeur Auguste Delâtre pour la faire tirer. Burty raconte de manière détaillée les interventions expertes de Bracquemond sans doute inquiet des expérimentations un peu brutales de Millet (1) ; puis les différents essais et tirages réalisés chez l’imprimeur.
Il existe cinq états différents de cette eau-forte, l’épreuve présentée ici appartenant au quatrième qui est celui qui a été publié dans la Gazette des Beaux-Arts, en illustration de l’article de Philippe Burty, « Les eaux-fortes de M. J.-F. Millet ».