Art, conférence
Retour sur la conférence "Du non fini à l’impression, naissance d’une nouvelle peinture"
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" Que représente cette toile ? Impression ! Impression, j'en étais sûr. Je me disais aussi puisque je suis impressionné, il doit y avoir de l'impression là-dedans "
Le cycle de conférences d'automne du musée s'est clos jeudi 12 décembre dernier à l'hôtellerie du Bas-Bréau avec l'intervention d'Isolde Pludermacher, conservatrice peinture au musée d’Orsay, spécialiste entre autres d'Édouard Manet et Eugène Boudin.
Dans le Lexique des termes d’art de Jules Adeline qui paraît en 1884, on trouve la définition suivante du terme « impressionnisme » : « école de peinture contemporaine qui s’efforce de rendre, non la réalité, mais un rapide aspect de la nature. Il est évident que, vue rapidement et d’une certaine façon, la nature peut, dans le paysage surtout, être rendue à l’aide de touches violentes et brutales ; que parfois même la valeur de cette impression d’ensemble et sommaire peut être altérée par un excès de travail à la poursuite des détails. Il y a souvent parmi les ébauches des impressionnistes – il serait injuste de le méconnaître- de charmantes études d’une grande justesse de ton et d’un grand charme, à l’aide desquelles on pourrait exécuter d’excellents tableaux ; mais jusqu’à ce jour, cette école n’a pas encore produit d’œuvres réalisant les conditions que notre éducation esthétique nous fait considérer comme essentielles dans un tableau. »
Isolde Pludermacher s'est ainsi interrogée : quelles sont donc ces « conditions essentielles » qui permettent à une peinture d’être considérée comme un « tableau » digne d’être signé, encadré, de porter un titre et de figurer à une exposition ? Qu’est-ce qui marque le degré d’achèvement suffisant d’une œuvre ?
Après avoir examiné la question à travers une étude terminologique (cherchant à cerner les notions d'"étude", "esquisse", "fini", "effet" ou "impression"), elle s'est appuyée sur l’exemple et la fortune critique de plusieurs peintres qui ont renouvelé le genre du paysage dans les décennies précédant la naissance de l’impressionnisme, de Pierre-Henri de Valenciennes à Monet en passant par Camille Corot et Eugène Boudin notamment.
Elle a conclu ainsi :
Lors de la première exposition impressionniste, en 1874, l’aspect « non fini », « sommaire », « ébauché », « incomplet », des œuvres présentées ne manque pas d’être souligné par les critiques d’art. Certains d’entre eux, comme Castagnary, nomment Corot comme étant la source de cette nouvelle esthétique : « le non fini, après Courbet, après Daubigny, après Corot, on ne peut pas dire que les impressionnistes l’aient inventé. Ils le vantent, ils l’exaltent, ils l’érigent en système, ils en font la clef de voûte de l’art » [1]. Castagnary tient alors à rappeler que certains sujets « demandent une exécution précise », tandis que Chesneau, malgré ses éloges, ne voit pas là « le dernier mot de l’art » puisqu’il faut « transformer l’esquisse en œuvre faite »[2].
Si le non fini n’apparaît pas comme le fruit d’une invention, tous les commentateurs, admirateurs ou détracteurs, sont en revanche saisis par la nouveauté d’une peinture qui place au premier plan « l’impression », à tel point qu’on a pu évoquer une « école des yeux »[3].Il convient de préciser qu’il ne s’agit pas ici de « l’impression poétique rappelée à volonté » que Baudelaire appelait de ses vœux en 1859. Elle est en effet, comme le rappelle la définition qu’en donne Larousse en 1872, une « opération purement physique », un « effet produit par les objets extérieurs sur les organes des sens ». L’impression ne relève pas de l’imagination mais de la « sensation » et la nouveauté des recherches des artistes du boulevard des Capucines porte sur une « intelligence rapide de l’objet »[4] et la capacité à saisir « l’insaisissable, le fugitif, l’instantané du mouvement »[5].
[1] Jules Castagnary, Le Siècle, 29 avril 1874, cité dans cat. exp. Centenaire de l’Impressionnisme, Paris, 1974, p. 265. Voir aussi dans le même ouvrage les critiques de Louis Leroy (p.260) et Burty (p.262) qui font référence à Corot.
[2] Ernest Chesneau, Paris-Journal, 7 mai 1874, cité dans ibid., p.269.
[3] Marc de Montifaud, L’Artiste, 1er mai 1874, cité dans ibid., p.266. Dans les critiques parues en 1874 rassemblées dans cet ouvrage, on note la présence du terme « impression » dans les textes de Prouvaire, Leroy, Burty, Cardon et Castagnary.
[4] Castagnary cité dans ibid., p.265.
[5] Chesneau, cité dans ibid., p.269 ;
- "Les artistes et le territoire" par Félicie Faizand de Maupeou, enseignante à l'Université de Nanterre, le 7 novembre
- "Observer, imaginer : dessiner sur le motif" par Marie-Pierre Salé, conservatrice au musée du Louvre, le 28 novembre
- "La question du Salon pour Théodore Rousseau et la notion de "refusé" par Servane Dargnies de Vitry, conservatrice au musée d'Orsay, le 5 décembre